À l’occasion de l’événement “Economic Profitability and the 2030 Agenda in Business” qui aura lieu demain à Saragosse, nous avons eu l’honneur d’interviewer Cristina Sánchez, qui occupe le poste de directrice exécutive du réseau espagnol du Pacte mondial. Dans cette conversation exclusive, Cristina partage ses perspectives et ses idées sur l’importance de l’Agenda 2030 dans le contexte des affaires et sur la façon dont les entreprises peuvent jouer un rôle crucial dans la réalisation des Objectifs de développement durable, tout en stimulant leur rentabilité économique.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience et de votre rôle en tant que directrice du Pacte mondial des Nations unies en Espagne ? Qu’attendez-vous de cette conférence ?
Je suis fier de diriger l’organisation leader en matière de développement durable des entreprises en Espagne. L’expérience que j’ai acquise au fil des ans me permet d’être optimiste, car le développement durable est en bonne voie, mais il exige également que nous relevions les défis de l’environnement et que nous répondions aux besoins des entreprises. Dans le cas présent, c’est toujours un plaisir de réunir des chefs d’entreprise comme Ibercaja et des représentants de la région comme l’Institut aragonais de développement. De plus, l’Aragon est une région avec laquelle nous travaillons étroitement depuis des années pour promouvoir la durabilité des entreprises. Aujourd’hui, nous souhaitons présenter notre dernière publication et les nouvelles pour les mois à venir, qui renforcent le binôme entre rentabilité et durabilité. Nous espérons également que cet événement incitera davantage d’entreprises à suivre cette voie et à comprendre que la durabilité n’est pas seulement essentielle pour relever les défis mondiaux, mais qu’elle constitue également une opportunité de réussite économique et de progrès local.
Nous venons de célébrer le 8e anniversaire du programme de développement durable. Selon vous, sommes-nous sur la bonne voie pour atteindre les objectifs fixés par les ODD et où en sommes-nous ?
Nous sommes à un tournant où les mesures que nous prenons maintenant détermineront le succès de l’agenda 2030. S’il est vrai que l’état d’avancement de l’Agenda 2030 à mi-parcours est à un point critique – seulement 15 % des 169 cibles qui constituent les ODD progressent de manière satisfaisante, 48 % affichent une évolution modérée et 37 % connaissent une absence de progrès, voire un retour en arrière. – L’Union européenne est consciente de l’importance des changements climatiques et du fait que nous nous rapprochons dangereusement de la limite fixée dans l’accord de Paris – le réchauffement climatique est déjà de 1,1 °C au-dessus des niveaux préindustriels. – Nous n’avons pas encore atteint le point de non-retour dans les deux cadres, qui sont impossibles à atteindre. Il est important d’insister sur ce point : un avenir plus durable est encore possible, et nous devons multiplier les actions pour y parvenir. À mi-chemin, nous ne pouvons pas abandonner. Chaque effort que nous ferons nous conduira vers un avenir meilleur. Ainsi, que les objectifs soient atteints ou non, c’est la voie que nous devons suivre.
Quels sont les objectifs ou les cibles qui ont le plus progressé depuis tout ce temps ?
Au niveau mondial, certains des ODD qui ont connu les plus grands progrès sont : l’ODD 3, dans lequel 146 pays sur 200 sont en bonne voie pour atteindre l’objectif lié à la mortalité infantile. Les progrès enregistrés dans le cadre des ODD 6 et 7 sont également pertinents, car ils montrent une amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’électricité. En effet, pour ce dernier, la proportion de la population mondiale ayant accès à l’électricité est passée de 87 % en 2015 à 91 % en 2021 et la part des énergies renouvelables augmente. Ces progrès montrent que l’engagement et l’action peuvent nous conduire vers un avenir plus durable, mais ils nous rappellent aussi que nous devons redoubler d’efforts et travailler ensemble pour surmonter les défis qui subsistent.
Comment l’agenda 2030 peut-il servir de guide aux entreprises en termes de rentabilité économique et de durabilité ?
L’agenda 2030 trace la voie à suivre pour que les entreprises deviennent ce que nous appelons les “entreprises du futur”. Il impulse de nouveaux modèles d’entreprise qui seront prédominants dans quelques années et dans lesquels de multiples opportunités économiques sont enfermées, comme dans le cas du secteur alimentaire, où la valeur des modèles d’entreprise basés sur les produits biologiques en Espagne était de 2 752 millions d’euros en 2021, et devrait augmenter en 2030 à 5 122 millions, doublant presque sa valeur. En outre, ce cadre onusien peut aider les entreprises à gérer les risques liés au développement durable, ce qui se traduira sans aucun doute par des économies à moyen et à long terme. Un engagement en faveur des ODD peut également contribuer à attirer des consommateurs engagés et à favoriser l’innovation. Dans l’ensemble, l’Agenda 2030 constitue une feuille de route précieuse pour les entreprises qui cherchent à prospérer économiquement tout en contribuant à un avenir plus durable.
Quels sont les principaux défis et opportunités auxquels les entreprises sont confrontées pour aligner leurs objectifs sur l’Agenda 2030 ?
Outre ceux que j’ai soulignés ci-dessus, le fait de s’engager dans une transformation durable peut également contribuer à générer des partenariats avec d’autres acteurs, notamment les grandes entreprises à la recherche de fournisseurs durables, et à accéder aux contrats du secteur public qui incluent de plus en plus de critères de durabilité dans leurs clauses.
Il est également important de mentionner l’attrait des investisseurs privés. Les inquiétudes concernant les crises futures liées à des problèmes environnementaux tels que le changement climatique, associées à une sensibilisation croissante du public au développement durable, ont conduit les investisseurs à s’intéresser aux portefeuilles responsables. Selon notre dernier rapport, “SDG Year 8. Economic profitability and Agenda 2030 : sustainability as a synonym for business for companies”, le travail de durabilité a un impact positif sur les indicateurs ayant une composante économique tels que la productivité, la réduction des risques économiques et la rentabilité. Plus précisément, en ce qui concerne cette dernière, la publication fait référence à plusieurs études qui soutiennent la relation entre la durabilité et la rentabilité, dans lesquelles, entre autres données, elle souligne que les entreprises qui ont pris un engagement fort en matière de durabilité ont obtenu des résultats supérieurs de 11 % à ceux de leurs concurrents sur le marché boursier.
En termes de défis, si nous parlons globalement, les plus grands défis au niveau des entreprises se trouvent encore dans la lutte contre le changement climatique, en particulier pour atteindre les objectifs de réduction des émissions ; dans l’ODD 5 sur l’égalité des sexes, qui est considéré comme l’un des domaines prioritaires dans notre pays ; et dans la gestion des droits de l’homme dans la chaîne d’approvisionnement. Ces domaines sont en fait les protagonistes de nos programmes d’accélération, dans lesquels nous essayons de guider les entreprises sur des questions stratégiques de manière pratique grâce à la formation et aux conseils d’experts.
Quel est le rôle de la collaboration entre les différents secteurs et organisations dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) et ces partenariats entre les gouvernements, le secteur privé et la société civile progressent-ils ?
Les partenariats entre différents acteurs jouent un rôle crucial dans la réalisation des objectifs de développement durable. Cette collaboration permet de tirer parti de l’expertise et des ressources diverses de plusieurs parties prenantes, ce qui se traduit par une approche plus efficace et plus efficiente pour relever les défis mondiaux. Elle favorise également l’innovation, élargit la portée des initiatives, encourage le partage des responsabilités et a un impact plus important sur la promotion de solutions durables et l’influence des changements politiques nécessaires à la réalisation des ODD.
Quant à savoir si cette méthode de travail progresse ou non, nous pourrions répondre par l’affirmative. En effet, l’ODD 17 est en 5e position dans le classement des ODD les plus travaillés par l’IBEX 35 et en 6e position dans le cas des entreprises espagnoles adhérant au Pacte mondial. Cependant, les progrès varient selon le type d’entreprise, alors que les entreprises de l’IBEX 35 ont considérablement augmenté leur engagement dans ce domaine, avec 80 % déclarant l’établissement de partenariats en 2022, contre 57 % en 2021 ; les entreprises espagnoles en général ont connu une légère stagnation dans la création de partenariats pour la réalisation des ODD, avec une diminution de 48 % à 44 % en 2022. Cela souligne l’importance de promouvoir une plus grande collaboration dans tous les secteurs pour relever efficacement les défis durables.
Comment les entreprises, grandes et petites, peuvent-elles s’engager efficacement dans l’Agenda 2030 ? Il ne faut pas oublier que près de 99 % des entreprises espagnoles sont des PME. Quelles actions une petite ou moyenne entreprise peut-elle entreprendre ?
Les entreprises, grandes et petites, peuvent contribuer efficacement à l’Agenda 2030 en prenant un certain nombre de mesures clés. Tout d’abord, il est essentiel que les entreprises se familiarisent parfaitement avec les ODD et fixent des objectifs concrets et mesurables en fonction de ceux-ci. À partir de là, elles peuvent définir les actions nécessaires pour les atteindre et suivre les progrès de manière continue. Ce sont essentiellement les étapes que l’on trouve dans le guide de référence pour contribuer à l’Agenda 2030 : SDG Compass.
En outre, en tant que directeur exécutif de la principale initiative en matière de durabilité, j’aimerais souligner deux autres aspects que je considère comme cruciaux dans ce processus. D’une part, l’engagement de la direction générale et la sensibilisation de l’ensemble du personnel. Ces éléments sont essentiels pour créer une culture organisationnelle orientée vers la durabilité et pour parvenir à une véritable transformation du modèle d’entreprise. D’autre part, il est important de souligner que la durabilité peut être mise en œuvre progressivement et adaptée aux ressources disponibles, et qu’elle n’exige pas immédiatement des changements radicaux. C’est un message qu’il faut faire passer aux PME, car la plupart d’entre elles perçoivent la durabilité comme un investissement inabordable en raison d’un manque de ressources économiques et humaines. Nous leur disons : oui, c’est possible, même si c’est petit à petit avec des actions moins ambitieuses. En outre, au sein du Pacte mondial des Nations unies en Espagne, nous nous engageons dans leur transformation et nous les aidons dans ce processus. C’est pourquoi nous avons mis à disposition un espace web ouvert avec plus de 90 ressources et bonnes pratiques sélectionnées pour améliorer l’intégration des ODD et des Dix Principes dans les petites et moyennes entreprises.
Quels sont les ODD sur lesquels les entreprises espagnoles travaillent le plus ?
Selon notre rapport Communiquer le progrès 2022, les entreprises de l’IBEX 35 donnent la priorité aux objectifs environnementaux et économiques, avec l’ODD 13 sur l’action climatique, l’ODD 8 sur le travail décent et la croissance économique et l’ODD 9 sur l’innovation et les infrastructures en tête de classement. Par ailleurs, parmi les entreprises espagnoles adhérant au Pacte mondial des Nations unies, les objectifs sociaux continuent d’occuper une place importante, avec l’ODD 5 en première position, l’ODD 8 et l’ODD 3 sur la santé et le bien-être en troisième position.
Quels sont les principaux obstacles rencontrés par les entreprises en Espagne et dans le monde lorsqu’elles tentent d’intégrer le développement durable dans leurs opérations et leurs stratégies ?
D’après les conclusions tirées de notre vaste consultation sur les ODD, les principaux obstacles rencontrés par les entreprises lorsqu’elles intègrent le développement durable dans leurs stratégies sont le manque de ressources internes (45 %), le peu d’incitations à contribuer aux ODD (28 %) et l’absence d’outils et de ressources pour faciliter la contribution aux ODD (28 %).
Au sein du Pacte mondial des Nations Unies Espagne, nous essayons de les aider à répondre à cette troisième demande, en publiant des guides et des publications qui contribuent à accroître leurs connaissances en matière de développement durable, des outils qui les aident à améliorer l’intégration du développement durable au sein de l’entreprise et des formations de base et avancées pour que toutes les entités, quel que soit leur niveau de connaissances, puissent contribuer à la réalisation de ces objectifs.
Quelles tendances et évolutions voyez-vous dans la relation entre les entreprises, la rentabilité économique et l’Agenda 2030 dans les années à venir ?
D’après notre dernier rapport, je pourrais en citer cinq : premièrement, la finance durable va gagner en importance, les investisseurs et les institutions financières donnant la priorité aux projets durables, ce qui réduit les coûts de financement pour les entreprises. Deuxièmement, les entreprises se concentreront sur l’adoption de modèles d’entreprise durables pour générer un avantage concurrentiel, tandis que l’innovation dans les processus et les matériaux durables sera un facteur important. En outre, les chaînes d’approvisionnement durables seront renforcées pour accroître la résilience et la rentabilité, et une plus grande attention sera accordée au bien-être des employés pour stimuler la productivité. Ces tendances ne favoriseront pas seulement la durabilité, mais influenceront également la rentabilité économique des entreprises dans le contexte de l’Agenda 2030.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui commencent leur voyage vers la durabilité et la réalisation des ODD ?
À ce stade, l’important est que l’entreprise, quelles que soient sa nature et sa taille, s’engage en faveur du développement durable et qu’elle le fasse en suivant un processus structuré qui l’aide à identifier son impact en la matière, à fixer des objectifs spécifiques et à mener un processus de suivi, d’évaluation et d’amélioration. Et, bien sûr, de plaider pour la formation du personnel sur les ODD afin que chaque employé puisse travailler sur ces questions au quotidien sur son lieu de travail.
Quel serait votre principal message aux entreprises et à la société en général en ce qui concerne la rentabilité économique et l’Agenda 2030 ?
Le principal message est que la durabilité et la rentabilité ne sont pas des objectifs qui s’excluent mutuellement, mais qu’ils sont étroitement liés. L’agenda 2030 offre une voie vers un avenir dans lequel les entreprises peuvent prospérer économiquement tout en apportant une contribution significative au bien-être social et à l’environnement. Ce cadre est en fait une opportunité pour les entreprises, et celles qui l’auront compris seront les mieux positionnées dans les années à venir.