“Hormis les écosystèmes marins, pour des raisons évidentes, il y a pratiquement tout ici”. Cette phrase résume bien la richesse du patrimoine culturel de l’Aragon, un territoire qui compte 18 espaces naturels protégés dans ses différents catalogues, dont un parc national, Ordesa y Monte Perdido. La phrase qui ouvre ce texte est d’ailleurs celle de l’éducateur environnemental et membre de l‘Association des éducateurs environnementaux d’Aragon, Paco Iturbe, qui explique un peu plus : “Nous avons des paysages de steppe, pour lesquels il faut aller en Afrique du Nord, mais à quelques kilomètres de là, il y a des écosystèmes de haute montagne, qu’il faut aller chercher au centre de l’Europe ou presque dans les pays nordiques pour trouver un environnement similaire”. En d’autres termes, des lieux très différents et éloignés les uns des autres, mais qui, en Aragon, vont presque de pair.
Ainsi, on peut passer de la steppe à la montagne, en traversant progressivement des paysages différents, mais tous concentrés dans un petit espace. Ainsi, si quelqu’un voulait faire un voyage pour les connaître, ce serait facile, en partant des rives de l’Ebre, en traversant le Monegros et ses marais salants, et en terminant dans les Pyrénées, avec les zones de haute montagne comme les glaciers et les ibones. Sur cet itinéraire “d’à peine 100 kilomètres”, le voyageur pourra également découvrir des chaînes de montagnes comme celles de Guara, avec des environnements différents. “Le contraste que l’on peut observer en quelques kilomètres est saisissant”, insiste Iturbe.
En ce qui concerne cette richesse naturelle, l’éducateur environnemental souligne l’importance des steppes de gypse aragonaises, que l’on trouve également dans le sud de la péninsule, “mais dans toute l’Europe, il n’y a absolument rien de semblable”. En fait, pour trouver un environnement similaire, il faut aller en Afrique du Nord ou dans les régions d’Asie mineure, précise-t-il.
Des environnements extrêmes
Parmi ces milieux steppiques, on trouve les marais salants des Monegros, “des lagunes enclavées très salées, dont les eaux sont entre 10 et 15 fois plus salées que celles de la mer”, précise-t-il. Ces espaces offrent d’ailleurs un spectacle “qui semble venir d’une autre planète”, avec leurs couches de sels mises à nu lorsqu’elles s’assèchent.
Elles ont une très forte concentration de soufre, et des bactéries et des micro-organismes vivent encore dans les couches inférieures associées à cet élément, comme c’était le cas sur Terre il y a des millions d’années”, explique-t-il à propos de ces zones. C’est pourquoi les visites d’experts du monde entier pour étudier ces lagunes sont monnaie courante. “C’est un exemple de la nature extrême et particulière des organismes qui y vivent”, explique-t-il.
Mais il n’y a pas que des micro-organismes, il y a aussi d’autres types d’espèces qui offrent un cadre magnifique, comme l’artémia salina, un insecte rougeâtre typique des milieux hypersalins, que l’on peut voir à l’œil nu en grandes concentrations dans les lacs salés comme ceux de la région de Bujaraloz. “Lorsqu’il y a peu d’eau, on peut voir tout le sel littéralement rouge”, décrit Iturbe.
Bien que moins exclusifs en Europe, les milieux de haute montagne de l’Aragon sont également très riches en biodiversité. Des animaux comme le gypaète barbu, l’ours ou le grand tétras sont de grands représentants de la faune du territoire. Mais ce ne sont pas les seules espèces dignes d’intérêt car, en revenant à la steppe, on peut trouver des invertébrés exclusifs à la région et d’une grande valeur scientifique, bien qu’ils soient évidemment plus difficiles à observer.
En ce qui concerne la flore de ce milieu, l’éducateur environnemental explique que les spécimens du continent africain et les plantes extrêmophiles qui habitent les milieux hypersalins s’y développent. Des espèces qui contrastent fortement avec celles que l’on trouve à très courte distance des Pyrénées, comme le pin de montagne. “La variété est énorme, brutale”, résume-t-il.
Des fossiles vivants
Cette grande variété comprend des fossiles vivants comme le “borderea chouardii”, une espèce typique du climat tropical qui existait il y a des millions d’années dans la région et qui survit dans les ravins pyrénéens, ainsi que le “Ramonda myconi”, un autre spécimen végétal qui se distingue par la beauté des tons violets de ses fleurs.
Outre ces deux types de paysages, l’expert rappelle que la Communauté possède également d’autres paysages très intéressants, comme les zones rocheuses de Teruel, dans le sud, un espace “particulier” qui se distingue considérablement du reste de ce que l’on trouve sur le territoire.
Pour en revenir à la faune, il mentionne la richesse ornithologique de la Communauté. Pour Iturbe, l’Èbre est “un grand corridor biologique”, qui comprend des espèces comme le héron ou le bihoreau et des zones comme les galachos et les bosquets. Toujours dans le domaine de la steppe, il souligne l’importance de lieux comme El Planerón, à Belchite, “l’un des meilleurs endroits” pour l’observation des oiseaux de la steppe.
Un lieu unique pour profiter des oiseaux
Il est d’accord sur ce point avec le délégué régional de la Société ornithologique espagnole (SEO-Birdlife) en Aragon, Luis Tirado. À ce sujet, il affirme qu’El Planerón, avec l’environnement de Monegrino, les Pyrénées et, en saison, Gallocanta, forment un tandem de tourisme ornithologique “de renommée internationale”.
En fait, sa description des écosystèmes de la Communauté est pratiquement identique à celle d’Iturbe : “C’est comme si nous avions une descente progressive des écosystèmes, une descente progressive entre les zones alpines des Pyrénées, où se distinguent par exemple les lacs de haute montagne, d’anciens glaciers qui ont dégelé au fil du temps, et les lagunes d’eau salée que nous avons dans les Monegros”, explique-t-il. “Cela signifie que nous avons beaucoup d’espèces différentes dans un laps de temps très court”, conclut M. Tirado.
La diversité ornithologique du territoire mérite un chapitre à part, car sa richesse comprend surtout deux grands groupes : les oiseaux de proie et les oiseaux des steppes. Au sein des premiers, l’Aragon offre des enclaves telles que les falaises rocheuses, mais aussi une zone de recherche pour les rapaces forestiers, de sorte que les spécimens peuvent être trouvés dans les deux zones.
Le gypaète barbu, dont la population est la plus abondante d’Europe, le vautour percnoptère, le faucon crécerelle et le faucon crécerellette, l’aigle royal, l’aigle botté, le milan royal et le milan noir, l’autour des palombes, l’épervier, le faucon pèlerin, le hibou grand-duc vivent en Aragon… “Le nombre de rapaces est incroyable”, résume M. Tirado.
D’autres espèces qui ne se reproduisent pas, mais qui trouvent en Aragon une nourriture abondante, passent également par ici. Il s’agit des aigles impériaux, “les plus célèbres du sud de l’Espagne”, qui ont tendance à venir sur ce territoire “en raison de l’explosion démographique des lapins dans la vallée de l’Ebre” et qui passent “des mois entiers” dans cette zone.
En ce qui concerne les oiseaux des steppes, des milieux comme les Monegros, Belchite, Alcañiz ou les landes de Teruel sont des zones favorables à la prolifération d’espèces comme le Gélinotte à ventre noir ou l’Alouette des champs, connue en Aragon sous le nom de grive des rochers. On y trouve également l’outarde canepetière, l’outarde canepetière et le crave à bec rouge. Ce dernier est également un bon indicateur de l’état de santé des écosystèmes agricoles et est abondant dans la vallée de l’Ebre.
De même, d’autres espèces moins connues, liées aux milieux broussailleux, comme les fauvettes. “Elles sont très difficiles à voir parce qu’elles se cachent, mais elles sont faciles à entendre”, dit-il. Tirado. Citons également le traquet noir, qui vit dans les petites falaises rocheuses, ou le grimpereau des murailles, un oiseau qui se reproduit à plus de 1 000 mètres d’altitude et qui descend en hiver dans la vallée de l’Èbre.
Menacé, mais bien préservé
Heureusement, l’Aragon dispose d’un territoire suffisamment préservé pour accueillir cette vaste biodiversité. “Des milliers d’hectares sont encore assez bien conservés et, au niveau international, c’est une bombe, personne d’autre ne l’a”, souligne le responsable de SEO-Birdlife dans la région.
Cependant, il met en garde contre la détérioration que les zones steppiques pourraient subir du fait de la diversification de l’agriculture, en particulier de l’irrigation, qui est incompatible avec les oiseaux des steppes qui habitent ces milieux. À ce sujet, il affirme que ces zones sont malheureusement “en chute libre”. Il n’en va pas de même pour les écosystèmes forestiers, milieux qui, malgré les incendies, “sont en très bon état de conservation”.